Le football féminin est en pleine ascension ces dernières années dans presque tous les pays du monde. Sa popularité récente est due à la question de l’égalité des sexes dans le milieu du sport. La gent féminine s’y adonne et aujourd’hui en Haïti, on a des virtuoses. Cependant, l’histoire du foot féminin haïtien est bien plus ancienne que ce que l’on pense. Mais qui connait réellement ses véritables pionniers et ses grandes dates ?
Panorama du début du football féminin dans le monde !
Il faut remonter à la fin du 19e siècle, l’époque où le football masculin se professionnalise en Angleterre et devient un métier à part entière. Bien que ce soit une discipline sportive réservée à la gent masculine, des femmes faisaient à chaque fois le déplacement dans les stades pour assister aux matchs. Certaines étaient venues remplir une obligation conjugale et suivre leur mari, mais d’autres vennaient tout simplement avec l’objectif de prendre plaisir à regarder le jeu. C’est ainsi quelques femmes s’aventuraient dans la pratique du ballon rond à la fin du 19e siècle, au Royaume-Uni et plus particulièrement en Écosse où se déroulait le premier match de football féminin le 7 mai 1881. Cette première expérience en appela d’autres, et ce fût un énorme succès. Les Anglaises avaient été très inspirées de leurs voisines écossaises. En 1895, on assistait à la naissance de l’équipe de football féminin “British Ladies Football Club” imposée par l’aristocrate écossaise, Florence Dixie.
Comme on vient de le mentionner, le football féminin existe dans le monde depuis des années mais c’est une activité qui a été souvent combattue même par les gouvernements. On pensait que c’était trop dangereux pour les femmes et trop risqué. Certaines théories faisaient même croire que la fille qui joue au football ne pourra pas enfanter.
Cette naissance du football féminin, impulsée par des féministes, mettait fin à toute idée phallocratique et montrait la volonté de certaines femmes de s’affirmer et de changer de mentalité. Cette initiative allait battre son plein puisqu’aujourd’hui, les compétitions féminines ont beaucoup d’importance aux yeux du monde.
En Haïti, les premiers contacts avec le ballon remontent en 1971 !
En Haïti, il apparait un peu plus tardivement, puisque c’était en 1971 que les femmes tapaient un ballon de volleyball avec les pieds. Un certain Phèdre Georges, entraineur et joueur de volley-ball au Collège Canado-Haïtien, remarquait que l’équipe féminine de volley de l’institution s’amusait à jouer au football après chaque entrainement. Comme il était très proche du journaliste le plus célèbre de l’époque, Jean Claude Sanon et d’Yves Jean-Bart, étudiant en Médecine qui travaillait au Nouvelliste et à la Radio Nouveau Monde, il leur racontait ce fait curieux, car la chose l’intriguait. Mais il faut dire à cette époque les consignes du président de FIFA, Sir Stanley Rous, étaient sans ambages:
“la pratique du foot par les femmes était illégale et il fallait la combattre avec force”.
Le début d’une belle histoire !
Le 19 décembre 1971 au Parc Sainte-Thérèse de Pétion-Ville se déroulait le premier match de football féminin, sous l’arbitrage de Jean-Claude Sanon assisté par deux internationaux de la FIFA, Albert Pierre-Louis et Michel Pierre. C’était une opposition du Collège Canado-Haïtien, sapé en blanc, à l’École Sacré-Coeur de Turgeau en maillot rouge et culotte blanche. Ce jour-là, Sacré-Coeur avait gagné (3-2). Ce fut un vrai spectacle de pousse-ballon mais quelques filles avaient réussi de beaux gestes comme Marie-Hélène Pierre, Marie-Carmel Désiré, les soeurs Heurtelou, Danielle Dascy, Edwige Didi Brusson, Monique André, toutes déjà des volleyeuses confirmées. En réalité, beaucoup de filles qui prennaient part à ce match n’étaient pas de ces écoles mais les formations étaient baptisées ainsi. La partie avait connu un succès fou. Les gens, vraiment curieux, avaient pris d’assaut le parc et exultaient à chaque fois que les joueuses frappaient le ballon. Ils prennaient du plaisir quand le cuir passait des minutes immobilisées, car les actrices ne savaient pas encore comment le maitriser et le déplacer.
C’est ainsi que Carmy Rouchon, un jeune de la Rue Vaillant, annonça la fondation des Amazones le 25 décembre 1971. Une institution considérée jusqu’à sa mise en vielleuse récemment comme le doyen des clubs du foot féminin. L’AS Tigresse a été fondée le 1er février 1972 par l’actuel président de la FHF, Yves Jean-Bart et un groupe d’amis. Une initiative qui a été prise au fait que les gens aimaient le spectacle du 19 décembre au Parc Sainte-Thérèse et les protagonistes étaient animés par tout ce qu’ils entendaient pendant cette rencontre. Certaines personnes riaient et s’amusaient, voyant le corps des joueuses et d’autres critiquaient l’apparition du foot féminin qui aura besoin d’appui. Ils faisaient croire que les filles ne pourraient pas enfanter. Éstimant que le mouvement du football féminin avait besoin de personnalités connues et de gens ayant une certaine notoriété dans le milieu pour pouvoir encourger les parents à envoyer leurs enfants aux entrainements, Yves Jean-Bart, étudiant à l’époque à l’École de la Médecine, sensibilisait ses camarades qui n’étaient pas spécialement impliqués dans le football. Ces derniers avaient décidé de l’accompagner dans la formation de l’AS Tigresse.
Le Parc Sainte-Thérèse continuait d’attirer des centaines de personnes à chaque rencontre amicale. Pour les vacances de Pâques en 1972, un tournoi à 4 équipes avait été lancé avec la participation de Super F, Excelsior, Gladiatrices et Nissan. L’Excelsior s’imposa avec brio et révéla des talents comme Micheline Joseph, Marie Denise “Lolo” Bertier, Mona Dacius, Marlène Lynch devenue Mme Jacques Louis, Gabrielle “Chapacha” Beauvais etc.
La Ligue pétion-villoise, dirigée par le Rév. Père Djebbels, décida de lancer pour les vacances d’été de cette même année une vraie compétition de football féminin avec 10 équipes reparties en deux groupes. Il y avait deux qualifiés par poule pour les demi-finales. L’AS Tigresse qui s’était abstenue de disputer le premier tournoi, avait fait une entrée en fanfare avec une structure organisationnelle et une philosophie qui allaient faire le bonheur de la discipline pendant longtemps. Les Tigresses ont choisi de se mettre sous la direction technique d’un apôtre du beau jeu de l’époque, Frank Civil, assisté de Serge Pierre, Fritz Jean-Baptiste et Fresnel Duchatelier. L’AS Tigresse, vainqueur du groupe A affrontait les Amazones et l’Exelcior, premier de l’autre poule croisait le fer avec Gladiatrices, dauphines des Tigresses. Et de façon surprenante, la finale avait opposé l’Exelcior, tombeur des Gladiatrices, aux Amazones, victorieuses de l’AS Tigresse (2-0). Le 8 octobre au Parc Sainte-Thérèse, la finale du premier vrai tournoi féminin avait attiré la grande foule et l’Excelcior s’adjugeait le titre face aux Amazones (2-0).
L’Agence Chatelain Tours avait choisi de patronner un 3e tournoi féminin d’où l’appellation “La Coupe Chatelain”. À la fin du mois d’octobre en 1972, aux dépens de l’Excelsior (2-0), les Tigresses remportèrent avec brio la finale au Parc Sainte-Thérèse.
Depuis ces premiers tournois, des équipes féminines ont été fondées partout dans le pays; dans le nord il y en avait, à Saint-Marc étaient apparues les Jongleuses et les formations de Port-au-Prince voyageaint beacoup pour aller jouer au foot. C’était une curiosité partout, des foules énormes se rendaient au Cap, à Saint-Marc et aux Gonaïves pour assister au spectacle féminin.
Après la Coupe Chatelain, dès le mois de novembre, toujours au Parc Sainte-Thérèse qui allait accueillir les matchs de foot féminin pendant près de 5 ans, on continuait d’organiser des tournois. Les rencontres ses jouaient en weekend. Il faut dire qu’une commission nationale a été formée en été 1972 et c’est Jean Claude Sanon qui en était le président. Yves Jean-Bart était le secrétaire général. Il y avait Paul Jeanty comme trésorier, Mme Denis vice-présidente, Eddy Simon et beaucoup de personnalités connues qui faisaient partie de ce comité pour le lancement d’un premier championnat national. La première saison a été remportée par l’Excelcior et la 2e a vu les Gladiatrices triompher en 1973.
Le championnat national continuait de se jouer au Parc Sainte-Thérèse mais en 1973 la sélection masculine sénior préparait le tournoi de la CONCACAF et les éliminatoires de la Coupe du monde 1974. Les supporteurs haïtiens n’allaient pas souvent au match des hommes parce qu’ils étaient déçus de leur élimination en 1969. Voyant que le foot féminin attirait la grande foule, le comité directeur du Racing Club Haïtien qui fêtait ses 50 ans le 23 mars 1973, décida d’organiser un tournoi quadrangulaire au Stade Sylvio Cator avec la participation des Tigresses, Gladiatrices, Excelcior et Amazones. Les matchs ont été diffusés sur Télé Haïti, la seule chaine télé de l’époque. La FHF a été surprise par le succès colossal du tournoi. Pour attirer les personnes au Stade dans l’idée de soutenir l’équipe nationale masculine, la fédération organisait un match de football féminin en lévée de rideau de la rencontre Haïti – Chili, c’est ainsi qu’il y a eu un choc Amazones – AS Tigresse. Ce jour-là, Marie Antoinette Gauthier avait marqué un but de plus de 35 mètres. Le ballon nettoyait la lucarne de Jessie Pierre, ce qui avait provoqué un tonnerre d’applaudissements. (À noter, à ce moment les filles jouaient avec un ballon No.4).
La FHF a finalement accepté la reconnaissance du foot féminin en octobre 1973. Elle a mis le Stade à la disposition des équipes pour le championnat. Cela coûtait trop aux supporteurs d’aller aux matchs à Pétion-Ville, puisqu’il fallait payer la course mais ils préféraient marcher pour se rendre au Stade.
En outre, les gens avaient eu du mal à retourner chez eux, parce que c’était difficile de trouver des véhicules à la fin des rencontres disputées fort tard dans la soirée à Pétion-Ville. De ce fait, le football féminin était descendu au Stade Sylvio Cator, les équipes vedettes restaient toujours l’AS Tigresses, Amazones, Gladiatrices, Vacancia.
Première seléction féminine, des tournées ailleurs qui fascinaient !
En 1974, une équipe française, le Stade de Reims, l’une des meilleures en Europe à l’époque, débarquait en Haïti. La Fédération haïtienne refusait de livrer le Stade. Mais des démarches ont été prises par la comission nationale auprès de l’embassade de France, du Ciment d’Haïti qui était une compagnie française et de la présidence d’Haïti. Finalement, le gouvernement haïtien a soutenu l’idée de jouer des matchs au Stade entre une sélection nationale et le Stade de Reims qui avait les cadres de l’Équipe de France. On avait perdu de courte justesse mais c’étaient des spectacles intéressants. Bien que le Stade de Reims soit un club, c’était la première rencontre internationale d’une sélection féminine disputée au Stade Sylvio Cator. Il faut rappeler en 1973, les Amazones, présidées par Leonel Vil et renforcées par les cadres de l’AS Tigresse et des Gladiatrices, avaient entrepris une tournée en Martinique et en Guadeloupe, là où elles avaient affronté des formations locales. Ce qui avait donné un grand éclat au foot féminin haïtien dans les Antilles. Le pays en tira une grande fierté. Entre-temps, le vent avait tourné à la FIFA, le Brésilien Jean Havelange avait nettement battu l’Anglais Sir Stanley Rous aux élections, de quoi devenir en juin 1974 le premier président non-européen de l’instance suprême du football. L’une des promesses du nouveau président a été d’officialiser le foot féminin.
En 1975, le football féminin allait connaitre un essor particulier dans le monde puisque c’était l’année internationale de la femme décretée par les Nations Unies. Une Haïtienne Gerthie David avait atteint la finale de la 24e édition du concours “Miss Universe” à San Salvador face aux représentantes de 69 pays. C’est la 2e femme de couleur noire à atteindre la finale de l’histoire dudit concours. Pour l’occasion, une compétition baptisée en son nom avait été mise sur pied et ce sont les Tigresses qui l’avaient emporté. Quelques mois plus tard, l’Équipe surinamienne visitait le pays et en 1976, par retour de courtoisie, le Stade de Reims invitait le Onze national féminin à entreprendre une tournée en France. Il y avait des soucis pour faire le voyage, heureusement au dernier moment des amis avaient mis nos dirigeants en contact avec le président français qui avait payé les billets d’avion et finalement on ralliait l’Hexagone. L’escale a été faite en Espagne. Arrivée à Madrid, la délégation haïtienne avait des problèmes pour trouver des avions pour aller en France. L’ambassadeur d’Haïti en Espagne était un ancien président de la FHF, le général Claude Raymond qui venait de laisser l’armée, alertait les autorités espagnoles et rapidement un avion avait été mis au service de nos filles. Arrivé à Paris, tout le staff de l’équipe avait pris le train, direction Reims pour y jouer les matchs. L’équipe nationale avait encore perdu face aux Rémoises, trop fortes, mais a battu des équipes comme Vitry et VGA Saint-Maur. C’était une grosse tournée avec de gros succès malgré le revers face au Stade de Reims sous la pluie.
Depuis lors, le foot féminin haïtien connait des hauts et des bas mais cela continuait d’exister. Entre 1983 et 1987 avec les troubles politiques, la plupart des équipes féminines tombaient en inactivité. De nouvelles formations avaient été fondées durant cette période. C’est ainsi en 1987, à l’initiative de quelques mordus léogânais notament Jean Yves Philogène Labase et Yves Aldophe Damour, on avait lancé le tournoi de la renaissance. Le nom était bien choisi puisque beaucoup de nouvelles équipes ont vu le jour telles que : Anacaona, Saint-Luc, Zaragua de Guérin, Colo Colo de Lacul, Aurore de Brache etc. Le foot féminin avait repris ses droits en 1988 avec cette compétition. Toujours au cours de cette année, on avait repris du jalon et la finale du championnat opposait les Tigresses de Port-au-Prince aux Hirondelles des Cayes. Ces dernières avaient créé la grande surprise le 4 juin 1988 en gagnant le premier championnat national féminin qu’on a aujourd’hui. Voilà un peu les premières années du football féminin haïtien.
Nouvelle ère du foot féminin haïtien !
Pour terminer la rubrique, c’est encourageant de souligner la persévérance et le courage de nos dirigeants qui ont milité pour que ce mouvement soit vivant. Tout cela a permis au foot féminin haïtien de traverser les bons et mauvais temps mais surtout de marquer l’histoire. Aujourd’hui on a des joueuses évoluant au premier rang et on est sorti d’une phase finale de la Coupe du monde U20 en 2018 avec des virtuoses entre autres Nérilia Mondésir, Corventina, Rachelle Carémus, Nelourde Nicolas, Kerly Théus, Sherly Jeudi. il s’agit d’une nouvelle génération dorée qui a eu d’énorme progrès certes, mais sachez que depuis le début, soit en 1971, nos filles avaient toujours eu du talent.