Voilà 94 ans que la sélection haïtienne faisait sa première apparition sur la scène internationale. Le dimanche 22 mars 1925 à Port-au-Prince, dans un contexte assez fantasque, le Onze national recevait la Jamaïque pour débuter une série de 5 matchs entre ces deux nations. Et ce jour-là, les Reggae Boyz étaient venus s’imposer au Parc Leconte (2-1). Mais qui ont été nos premiers internationaux ?
Dans les premières années du football au niveau de la Caraïbe, des tournois et des séries de matchs avaient été joués pour forger la concurrence dans la région. Beaucoup d’entr’eux par la nature des temps, s’étaient déroulés au moment où l’instabilité politique battait son plein dans le monde. À l’échelle planétaire, c’était la période qui suivait la « Der des Ders », la Première Guerre mondiale. En Haïti, on était sous l’occupation américaine et Louis Borno venait de succéder à Sudre Dartiguenave au pouvoir. On est donc l’un des pays de la région caribéenne à s’adonner plus tôt au football. La Fédération Haïtienne a été fondée en 1904, mais il a fallu 21 ans après, soit en mars 1925, pour que la sélection nationale goûte à ses premières joutes amicales.
En outre, les Grenadiers allaient attendre jusqu’en 1934 pour être reconnus par la FIFA. Bien que les noms des joueurs ne soient en aucun cas complet en détail, on a retrouvé trace du premier test amical du Onze national et c’était face à la Jamaïque qui recevait aussi ce jour-là son baptême de feu. Si ces deux pays s’entendaient pour croiser le fer à cinq reprises dans un certain laps, seulement 3 matchs avaient pu se jouer selon les registres officiels. Dans ce 12e numéro de notre rubrique, on met en relief cette première apparition officielle de ces deux nations, d’où le nom des acteurs, de l’arbitre, des buteurs ainsi que les personnalités présentes dans les tribunes et les réactions d’après-match.
Haïti vs Jamaïque, le 22 mars 1925 !
C’était un dimanche comme on l’avait mentionné, les travailleurs étaient de sortie. Les Grenadiers, eux, se trouvaient en concentration pour une série de plusieurs matchs en mars 1925. Ils allaient chausser les crampons pour la première fois avec leur équipe nationale flambant neuve. Le Parc Leconte était le lieu du déroulement de la partie. Durant toute la sémaine, les pronostics défaitistes clamaient les Jamaïcains invincibles. Selon le jugement des gens, les Reggae Boyz allaient atomiser le Onze national, puisqu’ils ont appris à jouer grâce aux meilleurs professeurs anglais.
Jour de match, il était une heure de l’après-midi, les supporteurs avaient commencé à débarquer au Parc Leconte, inauguré depuis le 12 octobre 1913. Un flot ininterrompu de personnes déferlait continuellement jusqu’à l’heure de la rencontre. 4 à 5 mille était le nombre de spectateurs présents sur le terrain sans oublier des tonnes de personnes, accrochées dans les arbres et le toit des maisons, qui regardaient le match depuis les environs. Il faut dire que c’était une foule disciplinée qui galvanisait les acteurs du jeu.
Vers 4 heures, l’autobus qui transportait l’équipe jamaïcaine arrivait sur le lieu du match. Des applaudissements enthousiastes de toute part saluaient les joueurs, tous sapés en vert et noir. Quelques minutes plus tard, le Onze national faisait son apparition sur le terrain, d’où une “standing ovation” sur toute la ligne. Après l’échauffement, les deux formations se posaient au niveau du rond central en se mettant en ligne droite et l’arbitre Mr. Williams les rejoint un instant après. Pour les visiteurs qui dépandaient encore de l’Angleterre, le fameux “God save the King” résonait, suivi de la Dessalinienne. Tout le public se mettait debout et se découvrait. Et le match démarrait sous le cap de roue !
L’équipe jamaïcaine fut composée de L.Robert le capitaine, Harry Paxton, Lambert Lewis, B.Lopez, C.Fuertad, Clarence Parsaillaigue, K. Willie Parsaillaigue, V.Sinclair, L.Moody, D.Barham et S.Soulette. Le Onze national alignait Lavonis dans les buts, Regner, Cassagnol, Mews, Cator, Cordozo, Painson, Bernadotte, Jean-Élie, E.Villard et G.Archer.
Les Jamaïcains ont donné le coup d’envoi, puis commençaient à mettre la pression sur les Grenadiers en essayant plusieurs tirs lointains sur notre goalkeeper qui, avec une maitrise admirable, les arrêtait. Les Haïtiens avaient eu du mal à developper leur jeu. C’était dans leur propre territoire qu’ils restaient figés. Ainsi, les coéquipiers de Cator avaient eu une besogne ardue en faisant beaucoup d’efforts pour repousser les assauts jamaïcains sur leur ligne, et nos attaquants paraissaient comme des figurants. Ces derniers permettaient à la défense adverse d’attaquer au lieu de se défendre. On dirait qu’ils avaient eu peur et qu’ils n’étaient pas à leur place. Profitant de la passivité de l’équipe haïtienne, les Reggae Boyz allaient trouver l’ouverture du score grâce à Clarence Parsaillaigue, à la suite d’un bon travail de Lambert Lewis. Ce but a été marqué 5 minutes avant la fin de la première mi-temps.
Après la pause protocolaire, les joueurs haïtiens avaient touché en premier le ballon après le signal de l’arbitre. Au début de ce second acte, nos attaquant ont affiché un visage différent mais sans donner toute fois la moitié de ce qu’ils pouvaient faire. Toute l’équipe nationale continuait avec le même jeu haché, décousu et sans confiance, tentant des dribbles inutiles. Les Grenadiers n’arrivaient pas réussir une véritable percée dans l’espoir d’envahir le territoire des visiteurs, de quoi désarçonner leur splendide ligne défensive.
On se dirigeait vers l’heure de jeu et la rencontre était devenue plus animée dans la mesure où Bernadotte et ses partenaires commençaient à inquiéter le Onze de la Jamaïque. De part et d’autre, il y avait beaucoup d’excitation, ce qui nous faisait concéder malheureusement un corner. L’ailier jamaïcain B.Lopez frappait le coup de pied de coin qui arrive avec force devant le dernier rempart haïtien. Harry Paxon reprenait le ballon de la tête. Une pareille reprise est toujours létale et elle l’était pour nous. Coup de massue, (2-0) pour la Jamaïque !
Avec ce deuxième but encaissé, le public ne pouvait sentir que la défaite, une déconvenue irréparable. Mais heureusement, l’histoire retient toujours que les Haïtiens sont d’une trempe incroyable dans tous les domaines, depuis la nuit des temps. L’équipe entière ne se décourageait pas et jouait avec entrain, on dirait que les deux buts concédés avaient stimulé ses énergies. On avait essayé de bonnes attaques mais le défenseur jamaïcain, le premier buteur de la soirée, Willie Passaillaigue, écartait le danger. Néanmoins, quatre (4) minutes avant la fin du match, les attaquants haïtiens allaient enfin réussir une action ensemble. Ils descendaient dans le camp adverse et c’était Jean-Élie, de qui les fans espéraient beaucoup plus, qui arrivait à centrer dans la surface. Un cafouillage s’en suivait. La défense jamaïcaine luttait avec conviction pour repousser le cuir, mais la mêlée devenait plus serrée. Le gardien était totalement cerné et cinglé en cherchant des yeux le ballon entre les jambes de tout le monde. Un vrai envahissement dans la surface qui était finalement payant, car Painson, opportuniste, faisait un grand effort, bondissant en avant, avant de réduire l’écart (2-1). D’où le premier but haïtien en match officiel. Il faut dire, malgré les efforts des joueurs haïtiens pour égaliser et ceux de la Jamaïque pour marquer un 3e but, il n’y avait pas d’évolution au tableau d’affichage et l’arbitre sifflait la fin de la rencontre. Une victoire des visiteurs (2-1).
Ce qu’il faut savoir !
Mr. Williams, sous-directeur de la Banque centrale, avait arbitré le match avec sa maitrise ordinaire et son impartialité bien connue. Les deux capitaines avaient appécié son travail. Dans la tribune officielle, le Président Louis Borno et sa femme occupaient la place d’honneur. Le général John H. Russell Junior, haut-commissaire américain en Haïti, était à leur côté ainsi que les Ministres anglais et haïtiens. Les militaitres gradés américains accompagnés de leur femme, étaient de la fête, idem pour les principales personnalités haïtiennes et étrangères du commerce, de la presse et l’on en passe.
L’organisation du match a été bonne si l’on tient compte de la situation du pays, sous l’occupation américaine à l’époque. Il est à regretter que beaucoup d’ouvertures n’aient pas été faites pour l’arrivée et la sortie des gens avec plus d’aisance. Les supporteurs trouvaient que c’était un match intéressant, mais ils en veulent aux attaquants haïtiens qui avaient mal joué. Ils trouvaient aussi que la défaite est honorable, car ils s’attendaient à un score fleuve de la troupe jamaïcaine. Pour eux, le résultat devrait remonter le moral de nos joueurs. Après le coup de sifflet final, les vainqueurs de la partie avaient quelques mots à dire. Les Reggae Boyz félicitaient l’adversaire. Pour le capitaine, l’équipe haïtienne a bien joué mais manquant de technique et un jeu d’ensemble. Le sélectionneur jamaïcain, lui, était satisfait de ce qu’on lui avait proposé comme jeu et fier du résultat des siens. Mr. Croswell était surtout heureux du fait qu’il n’y avait pas d’incidents regrettables.
Le 22 mars 1925, une date historique qui reste dans les annales du football haïtien et celui du pays de Bob Marley, car cette rencontre est la première avec la marque officielle des deux nations dans tous les kiosques. À rappeler, c’était une série de 5 matchs à Port-au-Prince mais trois se sont finalement déroulés. Les 2 autres rendez-vous ont tourné en faveur des Reggae Boyz (3-0) et (1-0) les 26 et 29 mars 1925.